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Aides d’État : la Commission adopte un encadrement temporaire de crise et de transition

Affaires - Droit économique
12/04/2023
En réponse à l’Inflation Reduction Act (IRA) des États-Unis, à la politique énergétique verte, et afin d’éviter les délocalisations des entreprises européennes, la Commission européenne a adopté le 9 mars 2023, en parallèle de la révision du règlement général d’exemption par catégorie, un nouveau cadre temporaire de crise et de transition visant à stimuler les investissements en faveur du déploiement des énergies renouvelables et à soutenir la décarbonation de l’industrie et la production des équipements nécessaires à la transition vers la neutralité carbone.
Rédigé sous la direction de Claudie Boiteau, en partenariat avec le Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris Dauphine-PSL
 
La crainte d’un exode des entreprises européennes
 
« La compétitivité de l’industrie européenne est confrontée à un certain nombre de défis » a déclaré Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive chargée de la politique de concurrence.
 
Lors du forum économique mondial de Davos qui s’est déroulé du 16 au 20 janvier 2023, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a dénoncé des « tentatives agressives » de la part de la Chine et des États-Unis pouvant conduire à la désindustrialisation de l’Union européenne par un exode des entreprises européennes « vers la Chine et ailleurs ». La présidente de la Commission a notamment pointé du doigt la politique chinoise de subventions massives en faveur de l’industrie verte et l’IRA, programme d’investissement et de subventions de 340 milliards d’euros soutenant les entreprises installées aux États-Unis, adopté en août 2022 et entré en vigueur le 1er janvier 2023.
 
L’IRA vise à accélérer la transition énergétique et se veut très ambitieuse sur ses objectifs environnementaux. En ce sens, la loi américaine comporte un important volet dédié à la progression et au déploiement des technologies d’énergies propres fabriquées aux États-Unis. Pour cela, l’IRA alloue 394 milliards de dollars, sous la forme de subventions, de prêts mais surtout d’incitations fiscales pour les entreprises établies sur le sol américain. De quoi effrayer l’exécutif européen quant à une délocalisation de ses entreprises aux États-Unis. Les entreprises industrielles européennes devant déjà faire face à une flambée des prix de l’énergie, ces dernières devront en outre affronter des entreprises américaines avantagées par les subventions de leur gouvernement.
 
Si en principe, les subventions nationales ou aides d'État font l’objet d’une réglementation stricte, les différentes crises auxquelles l’Union européenne a été confrontée ont justifié, pour l’exécutif européen, la mise en place de cadres temporaires de crise.
 
En effet, la Commission a adopté en mars 2022 un encadrement temporaire de crise permettant aux États membres d’attribuer de manière plus flexible des aides d’État pour soutenir l’économie dans le contexte de guerre en Ukraine et de la crise de l’énergie (v. Aides d’État : la Commission européenne adopte un nouvel encadrement temporaire de crise, Actualités du droit, 4 avr. 2022).
 
Toujours dans la logique de soutien de l’économie européenne face à des crises extérieures, la Commission a approuvé la transformation de l’encadrement temporaire de crise en matière d’aides d’État en un encadrement temporaire de crise et de transition.
 
Assurer la compétitivité européenne dans un contexte de transition énergétique
 
« Nous, les Européens, avons un plan » avait soutenu Ursula von der Leyen en janvier 2023 lors du forum de Davos. Une réponse attendue par les gouvernements des États membres après le refus des États-Unis de revoir leur loi, mais surtout demandée par le Conseil européen en décembre 2022.
 
Pour contrer les mesures protectionnistes américaines, la Commission entend mettre en place un plan intitulé « plan industriel du Pacte vert », afin de « faire de l’industrie européenne un champion de la neutralité carbone ».
 
Ce plan se base sur des initiatives européennes antérieures, telles que le Pacte vert pour l’Europe et REPowerEU (v. REPowerEU : la réponse énergétique européenne à l’invasion russe en Ukraine, Actualités du droit, 30 mars 2022). Il entend accélérer les investissements et financements pour le développement des technologies vertes en Europe.
 
La révision et la simplification de l’octroi des aides d'État permettra également de contribuer à maintenir la compétitivité de l’industrie européenne et d'assurer l’autonomie stratégique, tout en faisant de l’Europe un continent attractif. Les modifications adoptées par la Commission sont de deux ordres : d’une part, simplifier le déploiement des énergies renouvelables et la décarbonation de l’industrie, et d’autre part, encourager les investissements relatifs à la transition vers la neutralité carbone.
 
Les premières visent à faciliter le déploiement de tout type d’énergie renouvelable selon la Commission. Aussi, la Commission envisage d’apporter un soutien particulier à l’hydrogène par le biais d'aides financières et sans, pour le moment, imposer de mise en concurrence. La Commission veut également mettre en place un système d’aide pour les entreprises dont les investissements tendent à une réduction des émissions : le montant de l’aide serait calculé en fonction du coût de l’investissement engagé.
 
Les secondes tendent à soutenir la production d’équipements indispensables à la transition écologique tels que notamment les batteries, les panneaux solaires ainsi que ceux nécessitant des matières premières critiques pour leur fabrication. Enfin, la Commission veut empêcher la délocalisation d’entreprises européennes dans des pays tiers si un investissement pour un projet est disponible dans un État membre, et compte pour cela attribuer des aides supplémentaires et proportionnées. 
 
Ces dispositions devraient être en vigueur jusqu’au 31 décembre 2025.
 
Un risque de fragmentation de marché unique
 
Si la transformation de l’encadrement temporaire des aides d’État en un encadrement temporaire de crise et de transition s’inscrit dans le contexte de la transition écologique soutenue par l’Union européenne, il n’en demeure pas moins qu’il fait courir le risque d’une fragmentation du marché unique.
 
Margrethe Vestager a estimé que les investissements verts ont une grande portée, mais a toutefois souligné la nécessité que les aides d'État soient temporaires et ciblées. Elle met en garde contre la surenchère intra-européenne pour subventionner l’industrie, qui constitue un « risque considérable pour la concurrence ».
 
Le scepticisme de la vice-présidente exécutive chargée de la politique de concurrence est partagé par certains États membres. Le gouvernement italien a considéré que l’assouplissement des règles relatives aux aides d’État ne peut que s’inscrire dans le cadre de la réforme des règles fiscales, actuellement en cours de révision. Selon la conception des règles fiscales, la mise en œuvre des mesures d’aides d’État sera plus ou moins importante entre les États membres, notamment pour ceux dont la dette publique est importante comme c’est le cas pour l’Italie.
 
L’Espagne, quant à elle, a préconisé l’établissement de « critères transparents afin d’éviter toute distorsion des conditions de concurrence en raison des disparités entre les capacités fiscales des États membres ».
 
De surcroît, certains eurodéputés craignent que ces nouvelles règles ne soient profitables qu’aux « grands États membres tels que l’Allemagne et la France ». Ils ont insisté sur les risques de « distorsion du marché » due à l’assouplissement des règles relatives aux aides d’État.
 
 Par Morgane Bonniere et Cyrielle Gemmo, étudiantes du Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris-Dauphine-PSL
Source : Actualités du droit